Lettre ouverte à Françoise Nyssen, en réaction à la tribune pro-corrida qu'elle a signée sur le Figaro il y a quelques jours et que vous pouvez
lire ici.
Madame,
je ne pensais pas commenter la tribune pro-corrida publiée dans le Figaro ce 17 octobre à laquelle vous avez participé, mais le parallèle que vous établissez entre les réactions homophobes et les revendications animalistes m’y oblige.
En effet, il se trouve que vous êtes justement l’éditrice de mon livre jeunesse contre l’homophobie : La Princesse qui n’aimait pas les princes, publié en 2010, et qui avait été en son temps pris dans la polémique du mariage pour tous.
Ce mariage, la majorité des français le réclamait, mais un petit bastion réactionnaire s’y opposait. Vous faites aujourd’hui parti de ce clan, et je ne peux supporter que vous y instrumentalisiez l’oppression contre les homosexuels.
Parce qu'il se trouve que ces gens qui ont condamné - et condamnent encore – la vie d’un Oscar Wilde ou les rêves d’une Bovary, ce sont toujours les mêmes : de petits groupes qui s’octroient le droit de disposer du corps de l’autre, pour la simple raison qu’il est autre. Les homosexuels, les femmes, les enfants, les peuples colonisés, c’est toujours la même histoire, celle de l’individu nié, ramené au statut d’objet, c'est l’histoire de l’animal.
Car dans ces arènes, où vous dites que « nul n’est tenu d’y assister », le taureau, lui, n’a pas le choix. Il n’a pas demandé à être là, dans ce combat que vous savez comme moi, inégal, truqué, spectacle d’une fausse gloire, jeu de massacre.
Ce fil millénaire dont vous vous réclamez est le même qui rassemblait les foules de Romains autour de chrétiens, puis des foules de chrétiens autour d’un père Calas. Ce spectacle, c’est celui du plus fort qui se repait de son pouvoir, et pour s’en justifier, se drape des beaux noms de Culture et d’Art.
Oui, l’enfant est « doué d’intelligence, apte à l’émotion, sensible à l’héroïsme, disponible à la beauté, à la culture et à l’art », et c’est bien la raison pour laquelle j’ai décidé de m’adresser à lui en tant qu’écrivain.
Or j’essaye d’écrire contre ces oppressions, contre ce monde où celui qui nait du bon côté de la norme a les pleins pouvoirs sur l’autre, qu’il soit homme, femme, animal. Les luttes convergent parce que les mécanismes sont toujours les mêmes, et c’est pour cette raison que je vous demande de me rendre les droits sur l’exploitation de mon texte.
Et puisqu’il est beaucoup question d’Oscar Wilde dans toute cette histoire, je ferai appel à son Prince Heureux pour vous souhaiter, ainsi qu’à vos 39 célèbres co-signataires, de rencontrer un jour l’oiseau qui vous fera voir au-delà des dorures, ce qu’est le sensible.
Bien à vous,
Alice Brière-Haquet