Je ne sais pas si je peux mettre l'article dans son ensemble dans la mesure où il est en mode abonné, mais le début représente pas mal l'ensemble, et les lecteurs du
Monde des Livres pourront retrouver l'intégralité
ici ou en papier. Voici en tout cas ma réponse.
Monsieur,
Je ne sais pas dans quelle mesure « un droit de réponse » est véritablement un droit, mais j’ai envie de tenter quand même.
Le propos n’est pas tant de défendre ma nouvelle série. Il y a dans tous les rayons de librairie (y compris du côté « vieillesse ») des littératures qui ont des ambitions pratiques ou ludiques, des livres qui ne visent pas les prix littéraires mais entendent accompagner parents et enfants dans les petits tracas de la vie, des livres qui se veulent réconfortants comme un pain au chocolat. La série « Au Secours ! » est de ceux-là. On pourra trouver mon travail trop gras ou trop sucré, il suffira alors de changer de boutique, mais on ne peut sérieusement lui reprocher de ne pas révolutionner la haute gastronomie.
Non pas non plus que je veuille défendre mon statut d’écrivain… C’est un terme que j’utilise peu, lui préférant celui d’ « auteur », non par humilité mais parce que j’écris essentiellement des albums, des histoires courtes, et que mon métier se rapproche davantage de celui de parolier, sinon de poète. Evidemment, j’écris toute la journée, et dans ce sens je suis écrivain. Mais j’entends bien la nuance. Vous vouliez dire que je ne suis pas un écrivain avec un grand E, celui qui obéit à une « nécessité » toute intérieure, son génie, sa muse. C’est vrai. Je n’ai pas de muse pour me souffler mes idées, mais une équipe solide que je respecte et qui me respecte : Flammarion est une belle maison, mes éditrices d’excellentes professionnelles, j’adore l’illustratrice qu’elles ont choisie, et je crois sincèrement que nous essayons ensemble de proposer des ouvrages de qualité.
J’aimerais en revanche revenir sur l’insinuation concernant le « record » des cinq sorties simultanées en librairie (qui sont six à vrai dire), record qui ne serait accessible qu’aux auteurs jeunesse, ces aligneurs de lignes. Comptons les lignes, justement, ou plutôt les signes : mes albums ne vont en général pas au-delà des 3000 signes (moins que cette bafouille, donc), et mes petits romans culminent à 25000, de sorte que l’ensemble de ma production 2015 tiendra largement dans un petit roman adulte ou ado. Ces chiffres n’ont d’ailleurs pas beaucoup de rapport avec le temps passé sur chaque projet. Nina, l’album sur Nina Simone qui sort en octobre chez Gallimard, est le fruit d’une collaboration de deux ans avec son illustrateur, tandis que Le Meunier Amoureux, est un texte remis sur le métier durant cinq avant de lui trouver sa forme définitive, celle qu’a choisi de publier Sarbacane. Ces travaux se croisent avec mes textes de commande, mais chacun m’amuse, chacun a ses joies et ses difficultés, et je suis heureuse au final de ma bibliographie éclectique, mêlant grand public et ouvrages plus intimistes.
Mais en réalité, ce qui m’a vraiment vraiment dérangée c’est cette affirmation « Alice Brière-Haquet ne croit pas dans la littérature ». Parce que si, justement, je crois fort à la littérature, comme je crois fort à l’image et à la musique. Surtout, je crois en la littérature jeunesse, un secteur extraordinairement dynamique, avec un public particulièrement précieux et une grande liberté dans les contenus comme dans les formes. De talentueux collègues les explorent, des universitaires s’y intéressent, des libraires et des enseignants les portent… Pourquoi éclabousser tout cela dans votre mépris pour notre petite série ? Affirmer qu’il n’y a pas que des écrivains en littérature jeunesse est aussi absurde que de dire qu’il n’y a pas que des étoiles dans le monde de la danse. J’ose simplement croire qu’il y a de la place pour tout le monde, y compris pour moi, mes livres, et surtout mes lecteurs.
Tout ceci étant dit, je vous remercie pour votre article. La littérature jeunesse manque cruellement de vraies critiques et le consensus mou qui l’entoure est sans doute l’une de ses pires ennemies. Seulement, il me semble que vous vous trompez de cible. Mettre au « menu enfant » mon petit pain au chocolat pour le piétiner ainsi sur la place publique ne me semble pas apporter grand’ chose à la cause… Il serait plus judicieux (et plus courageux) d’utiliser l’espace du Monde pour dénoncer les véritables rouleaux-compresseurs de l’industrie du livre ou pour mettre en lumière les pépites cachées. Sur ce je vous souhaite une bonne continuation, et retourne à mes fourneaux.
Alice Brière-Haquet